CRITIQUE. The Brutalist – L’illusion du rêve américain

Avatar de Marilou Jaubert


Avec The Brutalist, Brady Corbet livre une œuvre ambitieuse et maîtrisée qui interroge la place de l’individu dans un système qui impose ses règles. À travers le parcours de László Tóth, un architecte juif hongrois émigré aux États-Unis après la Seconde Guerre Mondiale, le film déconstruit l’idéal du rêve américain et met en lumière les mécanismes de domination qui enferment les outsiders dans des rôles prédéfinis. Il mène à une réflexion sur la tolérance, l’acceptation et la manière dont le passé façonne nos identités et nos sociétés. Revenons sur ce long…long-métrage de 3h35, sorti dans les salles toulousaines le 12 février dernier.

László Tóth (Adrien Brody) est un architecte talentueux, qui fuit la misère après avoir survécu aux camps de concentration. Pour lui, l’Amérique, terre idéale pour se reconstruire et réaliser ses ambitions, va se transformer en un combat perpétuel vers la tolérance et l’acceptation. Son ascension est presque immédiatement conditionnée par un puissant mécène, Lee Van Buren incarné par Guy Pearce (Memento), qui lui propose un poste en apparence idéal. Très vite, une dynamique troublante va s’installer. Van Buren ne se contente pas de financer son travail, il façonne ses décisions, limite sa liberté et le maintient dans un état de dépendance. Et tout ça, de manière très subtile. Derrière une posture bienveillante se cache une forme d’appropriation, où le mécène exerce un contrôle constant, réduisant peu à peu Tóth à un simple exécutant.

Adrien Brody et Guy Pearce saisissant dans le rôle de Lee Van Buren. Crédits : A24

Adrien Brody livre une performance d’une grande justesse, oscillant entre retenue et frustration contenue. Son personnage, toujours sur le fil, incarne avec subtilité la difficulté de s’imposer dans un environnement qui, sous couvert d’ouverture, dicte ses propres conditions.

L’architecture comme reflet d’une société figée

L’esthétique du film est marquée par l’architecture brutaliste, omniprésente à l’écran. Corbet filme les bâtiments avec une précision presque clinique, soulignant leur froideur et leur rigidité. Ce style devient une métaphore de l’Amérique décrite dans le film : une société aux structures imposantes, mais inaccessibles, où tout semble déjà déterminé. Dès la première scène, cette vision est posée de manière frappante : László débarque aux États-Unis et voit la statue de la Liberté filmée à l’envers. Une image forte qui suggère immédiatement que le rêve américain, loin d’être un idéal d’ascension, est un mythe inversé, déjà fissuré avant même que le personnage principal ne tente de s’y inscrire.

Exemple mouvement brutalisme. Crédits : Piqsels

Sous ses airs de faux biopic, à travers le destin d’un architecte hongrois fictif, The Brutalist raconte l’histoire d’un homme qui construit pour se reconstruire. L’austérité et la froideur de ses créations témoignent des atrocités et traumatismes qu’il a subis, mais c’est également un film sur l’exil et sur les difficultés à s’intégrer dans une Amérique pas aussi accueillante qu’elle le prétend.

Une bande originale organique et oppressante


Dès la première scène, la musique « Overture (Ship) » de Daniel Blumberg s’impose avec une puissance saisissante. Ce morceau d’ouverture, aux sons graves, enroués, presque maladifs, annonce la tonalité du film. Il reflète une Amérique qui se présente comme une terre d’espoir, mais qui, dès les premières images, apparaît comme un pays « cassé », inversé, à l’image de cette statue de la liberté filmée à l’envers.

La bande originale ne se contente pas d’accompagner les images, elle dialogue avec elles, renforçant leur impact émotionnel.

Les sonorités rugueuses et dissonantes de Blumberg traduisent parfaitement la tension sous-jacente du film, la lutte intérieure de László et l’oppression sourde qui pèse sur lui. C’est une musique qui s’imprègne du poids de l’histoire, rappelant que le rêve américain est souvent une illusion brisée avant même d’avoir commencé.

Un regard lucide sur l’Amérique et ses contradictions

The Brutalist dépasse le cadre du drame individuel pour dresser un portrait plus large d’une Amérique qui, derrière son discours d’accueil et de réussite, maintient des hiérarchies rigides. Le film interroge la place des immigrés dans une société qui les considère souvent comme des talents exploitables plutôt que comme des individus à part entière. Cette réflexion, bien que située dans l’Amérique d’après-guerre, trouve un écho troublant dans le monde contemporain. Capitalisme sur fond d’antisémitisme, le mythe du rêve américain est écorché dès les tous premiers plans du film. The Brutalist interroge la place des immigrés dans une société qui valorise leur talent mais leur impose des barrières invisibles. László n’est jamais rejeté frontalement, mais il n’est jamais totalement accepté non plus. Il doit composer avec des attentes implicites, des compromis qui ne sont jamais clairement exprimés mais qui conditionnent tout.

László Tóth transforme le bureau de son bourreau. Crédits : A24

Malgré un entracte de 15 minutes inutile qui brise un peu son élan, le film s’impose comme une réflexion essentielle sur l’Amérique et ses contradictions, sur les rêves que l’on vend et les réalités que l’on tait. Une œuvre qui restera, par sa force visuelle et son propos, comme l’un des films majeurs de l’année. Brady Corbet signe un film d’une grande densité avec une mise en scène précise et des performances remarquables, notamment celle de Felicity Jones qui incarne Erzsébet la femme de László. The Brutalist ne se contente pas de raconter une histoire d’immigration, il en explore les mécanismes invisibles, ceux qui façonnent les trajectoires et déterminent qui peut réellement s’émanciper. Une œuvre forte et subtile, qui résonne longtemps après le visionnage. Il est difficile de ne pas voir ce film comme un grand gagnant potentiel lors de la prochaine édition des Oscars. Un film à ne pas manquer.

Avatar de Marilou Jaubert

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *