Métiers de l’édition : comment concilier production de livres et écologie ?

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Aujourd’hui, l’écologie est au cœur de toutes les préoccupations. De plus en plus de secteurs d’activités cherchent à intégrer ces problématiques dans leur quotidien. Le monde de l’édition ne fait pas exception à la règle. Le 14 janvier dernier, les étudiants du Master Métiers du Livre Jeunesse de l’Institut Catholique de Toulouse se sont penchés sur la question. Pendant toute une journée, ils ont échangé avec des professionnels du secteur sur les réalités du terrain, les problématiques écologiques auxquelles le monde du livre fait face, mais aussi sur les potentielles solutions. La Plume est allée à la rencontre de quatre de ces étudiantes pour comprendre les enjeux de l’écologie dans le monde de l’édition.

L’écologie, c’est l’humain”, affirme Sandrine Vermot-Desroches. Elle est directrice du Master Métiers du Livre Jeunesse à l’Institut Catholique de Toulouse (ICT). En janvier dernier, ses étudiants ont rencontré des professionnels du secteur pour échanger sur un sujet phare de notre époque : l’écologie. Et principalement, comment repenser le secteur de l’édition pour répondre aux enjeux écologiques.

Car pour l’heure, le poids écologique du monde du livre est assez lourd. Selon Recyclivre, un livre neuf représente 1,3kg d’émission de CO2. Ce chiffre comprend la totalité de la création d’un livre, de la fabrication du papier à son transport dans une librairie ou jusqu’à son acheteur.

Une problématique multi-facette

Ainsi, la question de l’écoresponsabilité prend de plus en plus d’ampleur parmi les acteurs du monde du livre. “Le Syndicat national de l’édition s’y penche, et plusieurs associations aussi”, explique Sandrine Vermot-Desroches. Pour elle, c’était important de sensibiliser ses étudiants aux problématiques écologiques de l’édition : “On les forme à des métiers qui sont en rapport avec le monde. L’écologie y a sa place parmi toutes les problématiques.

C’est vrai que c’est un sujet qui devient très important dans le métier”, ajoute Lucie, étudiante dans le Master Métiers du Livre Jeunesse à l’ICT. Mais aujourd’hui, le plus gros obstacle auquel font face les éditeurs engagés est la question du chiffre d’affaires. “Les petites maisons d’édition prennent de plus en plus l’écologie comme ligne directrice”, explique-t-elle. “Mais pour les grandes maisons d’édition, c’est plus compliqué. Souvent, l’écologie est considérée, mais passe derrière les stratégies économiques”. Car une maison d’édition, c’est avant tout un business. Et une entreprise, pour fonctionner, a besoin de revenus.

En littérature jeunesse, on utilise beaucoup la technique du pop-up”, explique Marine, également étudiante à l’ICT, pour illustrer le propos de sa camarade. (NDLR : Le pop-up est une technique d’imprimerie qui permet de mettre des éléments visuels en valeur en leur donnant du volume.) “Il y a vingt ans, il existait une dizaine d’imprimeries en France qui permettait de faire cela. Aujourd’hui, il n’en reste que deux capables de le faire”, déplore-t-elle. De nombreux petits savoir-faire se perdent, car moins rentables. Et quand ils existent encore, maintenus en vie par quelques petites entreprises, ils coûtent très cher à produire. Alors forcément, les éditeurs sont obligés d’aller chercher à l’étranger, alourdissant leur empreinte carbone. “Parfois, c’est même moins lourd écologiquement de transporter de très loin, comme la Chine, en larges quantités, que de faire venir un produit plus proche, mais en petite quantité”, raconte Séléna, elle aussi étudiante du Master Métiers du Livre Jeunesse.

Le pilonnage, un désastre écologique

Une autre pratique, très répandue dans le milieu du livre, est le pilonnage. En jargon littéraire, on dit que les livres invendus sont “envoyés au pilon”, c’est-à-dire détruits. C’est la particularité du monde du livre. Afin d’assurer un renouveau des rayons, et donner une chance à toutes les nouveautés littéraires, après un certain temps, les revendeurs retirent les titres qui ne se vendent pas des étagères, et renvoient les stocks invendus aux éditeurs.

Alors attention, cela ne concerne pas la totalité des invendus. Selon le Syndicat National de l’Edition, en moyenne, 25 000 tonnes de livres finissent au pilon, soit la grande majorité des retours, et 13% de la production littéraire totale. “Pour les distributeurs, cela coûte moins cher que de les stocker”, explique Lucie. Selon elle, après les salons littéraires, certaines maisons d’édition envoient directement les stocks restants au pilon. “Encore une fois, c’est une question économique : c’est plus rentable que de tous transporter jusqu’à un entrepôt, puis de payer l’espace de stockage.

100% des livres pilonnés sont recyclés. Faible consolation, quand on sait que le papier recyclé ne représente que 1% de la totalité du papier acheté par les éditeurs, et moins de 5% du papier acheté par les imprimeurs…

“Il va falloir tout repenser”

La façon actuelle d’envisager l’écologie du livre ne peut pas être pérenne”, affirme Sarah, elle aussi étudiante du Master Métiers du Livre Jeunesse à l’ICT. “Il va falloir envisager de tout repenser de A à Z dans 30, 50, 70 ans, parce que les enjeux écologiques seront complètement différents”. Pour l’heure, le fonctionnement même de la production du livre est gourmand en ressources. Prenons l’exemple de l’encre. Un élément non négociable du processus d’impression d’un livre. En imprimerie, on utilise des encres à huiles, réputées pour leur résistance dans le temps. Mais à la fabrication, ces encres ont un fort impact écologique. Sans compter les produits qu’elles relâchent lors du nettoyage des machines !

Dans le milieu du livre jeunesse, il est fréquent d’utiliser beaucoup de couleurs, assez vibrantes. Ainsi, à l’impression de chaque nouvel ouvrage, il faut recalibrer les machines aux couleurs. “Dans le cadre de nos études, nous avons visité une imprimerie”, raconte Sarah. “On a réalisé le gaspillage qu’imprimer un livre engendre. Pour un essai de calibrage de machine d’impression en couleurs, il faut utiliser un paquet entier de 100 feuilles !

Alors, comment peut-on envisager de réduire cet impact écologique ? “Déjà, on peut essayer d’utiliser des couleurs moins impactantes”, explique Marine. Le secteur de l’impression se penche actuellement sur la question. D’autres types d’encres peuvent être envisagées, comme les encres à base d’eau ou de composants végétaux.

Le numérique, fausse bonne idée ?

Se pose également la question du numérique. Depuis plusieurs années, les liseuses électroniques ont la cote. Facile d’utilisation, elles sont légères, donc plus transportables, et peuvent stocker plusieurs livres à la fois. Mais pour les étudiantes de l’ICT, ce n’est pas forcément une solution. “En édition, on travaille avec le numérique, ce n’est pas une question de concurrence”, affirme Lucie. Parmi les quatre jeunes femmes, certaines expliquent posséder elles-mêmes une liseuse. “Mais dans certains cas, comme la littérature petite enfance ou les bandes dessinées et les Mangas, c’est inenvisageable”, précise Séléna.

Sur l’aspect écologique, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la liseuse n’est pas forcément moins lourde. À la fabrication, un seul de ces appareils produit environ 170kg de CO2. Il faudrait lire 40 livres dessus pour la rentabiliser écologiquement parlant. Et cela, c’est sans compter l’impact que la fabrication de ses composants va avoir en plus par rapport à un livre papier !

Un livre pour sensibiliser

Une solution à tout cela est d’emprunter à la bibliothèque. Cela permet d’avoir accès à de nombreux livres en réduisant le nombre de productions. Et à la longue, c’est aussi plus économique pour le lecteur ! Séléna affirme fièrement avoir repris une carte de bibliothèque récemment. “Mais en disant cela, on se sent un peu hypocrite”, avoue Sarah. “En tant que lectrices, on fait aussi la collection des bouquins. On aime bien avoir dans nos étagères les sagas entières, ou même les éditions collectors.” Un dilemme auquel font face la majorité des passionnés de lecture.

Le grand projet des étudiants du Master Métiers du Livre Jeunesse de l’ICT est un livre autour de l’écologie. Une initiative parrainée par Frédérick Lisak, directeur des éditions Plume de Carotte. La promotion a été divisée en six groupes. Chacun s’est vu attribuer un milieu naturel, comme la montagne, le désert chaud ou le désert froid, sur lequel il écrira un récit illustrant les problématiques écologiques. Pour pousser la question jusqu’au bout, les étudiants doivent réduire au maximum l’impact écologique de l’entièreté du processus. “Il faut que l’on fasse attention au format et à la composition du papier”, explique Séléna. “On doit aussi trouver un imprimeur vert.” Et jusqu’à la soirée de lancement ! “On réfléchit à comment réduire les déchets produits par cette soirée. Par exemple, pas de couverts en plastiques !

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